À quand une place en télé et au cinéma pour les créatrices et créateurs handicapés?

10 janvier 2024

Il y a depuis longtemps un engouement pour la représentation des handicaps à l’écran. Mais à quand une place pour les créateurs et les créatrices en situation de handicap?

Radio-Canada – Publié le 7 janvier

Le handicap, l’ingrédient secret d’une recette conduisant aux Oscars? Hollywood regorge d’exemples de films qui braquent les projecteurs sur des personnages handicapés. De Forrest Gump (1994) à Coda : le cœur à la musique (2021) en passant par Le discours du roi (2010) ou La forme de l’eau (2017), plusieurs de ces œuvres ont même remporté la palme du film de l’année.

Ce phénomène s’explique aussi par un intérêt de la part des interprètes pour des rôles de personnages handicapés, selon le critique et journaliste spécialisé en cinéma Michel Coulombe.

Depuis longtemps, il y a un intérêt particulier de la part des acteurs pour le défi que cela représente. Parce que de jouer quelqu’un qui est si différent de soi, ça demande un engagement, explique-t-il.

C’est stimulant. Chez tous les acteurs qui l’ont fait, je vois aussi un immense respect. On veut être à la hauteur et représenter [ces personnages] de manière respectueuse. Comment on fait, comment on bouge, comment le faire sans caricaturer. Cet engagement-là fait que ça conduit parfois aux Oscars.

Il cite l’exemple de Marlon Brando dans C’étaient des hommes (1950), qui a passé un mois dans un hôpital pour se préparer à son rôle d’un vétéran de guerre paraplégique. Ou encore celui de Daniel Day-Lewis, oscarisé meilleur acteur pour son travail dans My Left Foot : l’histoire de Christy Brown (1989).

C’est un acteur qui n’a rien fait simplement [sur le plateau], explique Michel Coulombe. Son personnage n’a la maîtrise que de son pied gauche, et il a donc décidé qu’on ne pourrait pas lui demander de se déplacer normalement ou même de manger normalement. On ne pouvait pas s’adresser à lui en utilisant le nom Daniel, fallait l’appeler Christy.

Pour en apprendre plus sur le traitement réservé au handicap dans la culture, vous pouvez écouter la Carte blanche à… Kéven Breton sur ICI Première, le dimanche 7 janvier à 20 h. L’émission est déjà disponible sur Radio-Canada OHdio.

Plus récemment, Eddie Redmayne a fait appel à une chorégraphe pour reproduire fidèlement les gestes et mouvements du physicien Stephen Hawking, atteint de sclérose latérale amyotrophique, dans le film biographique Une merveilleuse histoire du temps (2014).

Michel Coulombe croit que la présence de ces personnages à l’écran a un effet sur les spectateurs et spectatrices, et sur leur perception des personnes handicapées.

Le regard que l’on pose sur des personnes en fauteuil roulant, par exemple, est différent. Quand il y a eu le film Gabrielle au Québec, il y a eu un travail en harmonie entre personnes avec et sans déficience intellectuelle qui a ouvert les yeux de bien des gens. Le cinéma a souvent cet effet-là.

Gabrielle Marion-Rivard dans le film « Gabrielle » (2013) de Louise Archambault – Photo : Entertainment One

Projecteurs ou obscurité

Si le handicap est au cœur de plusieurs intrigues hollywoodiennes, il est plutôt rare de voir des personnages handicapés en périphérie, présents à l’écran seulement pour un rôle secondaire qui n’a rien à voir avec leur condition physique, par exemple.

Le handicap, c’est un sujet ou rien. On parle de ça ou on ne les voit pas.Une citation de Michel Coulombe, critique et journaliste spécialisé en cinéma

Les afro-descendants ont longtemps été montrés au cinéma comme étant des personnes conscientes de leur situation, se battant face à la ségrégation, aux problèmes de société. Alors que dans la vie, il y a aussi des médecins afro-descendants, des voisins ou des voisines, et on a mis du temps à le voir. Pour les gens avec un handicap, c’est un peu la même chose, ajoute M. Coulombe.

Marie-Hélène Lebeau-Taschereau, scénariste de KOTV, a créé plusieurs séries pour la télévision québécoise ces dernières années : Virage, Conseil de famille et, plus récemment, Le pacte. Dans la deuxième saison de cette dernière émission jeunesse, présentée à Télé-Québec, un personnage handicapé fait son apparition dans l’école où se déroule l’intrigue.

Romane est une élève comme une autre, nouvelle dans l’école, qui vient avec des enjeux propres à cela. Elle rêve d’être journaliste, comme son père, que l’on devine célèbre. Elle veut se prouver. Puis, il y a toute une histoire qui se développe de manière assez intéressante entre [elle et] un des personnages principaux, explique la scénariste.

Elle est en fauteuil roulant, mais cela est accessoire à l’histoire. Elle sensibilise au fait que l’école n’est pas très accessible, ça fait partie d’elle, mais ce n’est pas sa quête.

L’ajout de personnages handicapés ne fait que bonifier les œuvres, selon Marie-Hélène Lebeau-Taschereau. Ça peut créer de nouvelles interactions, comme la première fois où Romane rencontre un des personnages principaux, et qu’il va être très maladroit. Ou encore, Romane, qui veut avoir un moment d’intimité avec son premier chum, alors que l’appartement de ce dernier n’est pas accessible. Ça contribue à créer des histoires originales, authentiques et différentes.

Pour en voir plus, la scénariste croit qu’il faut laisser la chance à des créateurs et à des créatrices en situation de handicap de s’exprimer et d’écrire leur histoire. C’est aussi pour cela qu’elle inclut parfois des personnes handicapées dans certaines de ses chambres d’auteurs.

Les créateurs me disent souvent : « Soit on est invisibles, soit on est des superhéros. » Et ça ne convient pas, ni l’un ni l’autre.Une citation de Marie-Hélène Lebeau-Taschereau, scénariste de KOTV

Michel Coulombe relève quant à lui le cas de l’homme d’affaires français Philippe Pozzo, l’auteur du livre qui a donné naissance au film Intouchables. Il a publié un livre qui raconte sa vie, on lui a offert plusieurs fois d’en faire un film. Il a dit : « Vous voulez en faire un drame, faire de ma vie quelque chose de misérable, c’est non. Je n’ai pas besoin de vous. » Et il a finalement accepté un projet de comédie, en disant que ça lui convenait mieux. Et ça donne un bon résultat.

Marie-Hélène Lebeau-Taschereau croit aussi que l’arrivée d’actrices et d’acteurs handicapés pourrait donner le goût à des scénaristes de leur donner des rôles de personnages qui ne sont pas nécessairement pensés pour être handicapés.

Des occasions à saisir

Parmi les films mentionnés plus haut, un seul mettait en vedette des interprètes vivant avec un handicap, soit Coda : le cœur à la musique. Il s’agit d’une reprise américaine du succès français La famille Bélier, sorti en 2014.

Dans la version française, des interprètes non handicapés ont été sélectionnés pour jouer des personnes sourdes, et on a dû leur apprendre la langue des signes, ce qui a valu à la production certaines critiques.

Au Québec, la série Le temps des framboises met en scène le personnage de William, qui est sourd, et qui est joué par un acteur handicapé, Xavier Chalifoux. Le réalisateur Guillaume Lonergan a travaillé avec lui à la création de la saison 2, qui sera diffusée à TVA, à la fin de l’hiver 2024. Il est d’avis que la présence d’un personnage réellement handicapé est venue enrichir la production.

La Chaire de recherche du Canada sur les médias, les handicaps et les (auto)représentations de l’UQAM compile des données sur la représentation et le handicap :

  • Entre les décennies 1980-1990 et 2010-2020, on note une augmentation de 200 % du nombre de personnages handicapés dans les œuvres au petit et au grand écran.
  • Pour les films de fiction entre 1980 et 2020, le tiers des personnages handicapés sont joués par des personnes ayant déclaré être en situation de handicap, être sourdes ou neurodivergentes.
  • Dans la majorité des cas, le personnage handicapé joue le rôle d’allié ou d’adjuvant (celui qui aide le personnage principal ou secondaire).

Will, c’est un ado comme les autres. C’est le petit frère d’une famille, dont la mère hérite d’une terre, explique Guillaume Lonergan. Il voit son monde se transformer, c’est un garçon brillant à l’école, destiné à autre chose que de travailler à la ferme. Le fait qu’il soit sourd, c’est juste un détail.

Sa surdité ajoute un brin de complexité, mais aussi beaucoup d’authenticité, ajoute le scénariste.

On travaille avec un interprète tout le temps. On m’avait prévenu qu’il y aurait un ajustement, que ce serait difficile. Mais dès le jour 2 ou le jour 3, je m’étais adapté. Xavier était très bon aussi. Une de mes plus belles expériences de travail avec un acteur, explique encore Guillaume Lonergan.

Une des bonnes choses des dernières années, c’est qu’on se force, par exemple pour [donner le rôle à] un sourd et bénéficier de son authenticité. Oui, ça veut dire qu’il y a des défis, mais en très peu de temps, on réalise tout ce que ça amène et le résultatest extraordinaire.

Faire sa place

Xavier Chalifoux n’est pas le seul. Des acteurs et des actrices en situation de handicap tentent de faire leur place sur la scène culturelle et médiatique québécoise depuis plusieurs années.

Alexa Carle-Hébert est une comédienne en fauteuil roulant. Elle a obtenu le rôle principal dans le long métrage Le jour où le dromadaire est parti, qui est toujours en production. Mais elle a dû mentir pour décrocher le rôle. Quand la réalisatrice m’a approchée pour me demander si j’avais de l’expérience, j’ai dis « oui », alors que ce n’était pas tout à fait vrai. On a ensuite fait une vidéo corporative ensemble, ce qui a été mon audition. Et une fois que le tournage a commencé, c’est là que je lui ai avoué. Mais ça a très bien marché!, explique-t-elle.

Le rôle n’avait pas été réfléchi à la base pour une actrice handicapée. C’est l’histoire d’une artiste qui tombe enceinte de son meilleur ami. Le handicap ajoute une complexité pas nécessairement prévue à la base à la question de la maternité. C’était important que le personnage ne soit pas centré sur le handicap, c’est une personne normale, mais en fauteuil roulant.

Roxane Charest-Landry termine sa formation à l’école Les Muses, un centre de formation professionnelle pour les personnes qui, comme elle, présentent une déficience intellectuelle.

Elle aimerait qu’on la convoque plus souvent pour des auditions qui n’ont pas de lien avec son handicap. Certains se mettent en tête qu’on n’est pas capables de faire tel rôle, d’apprendre tel texte, sans nous connaître. On est capables de vous surprendre, d’y aller à fond. Venez nous voir travailler, plaide-t-elle.

On est capables d’émouvoir, de se livrer à des rôles plus intimes, d’aller dans la profondeur. J’espère que les préjugés vont tomber. On est tannés de se faire donner des rôles faciles, on peut aller en complexité.Une citation de Roxane Charest-Landry

Je dirais oui à n’importe quel rôle, dit pour sa part Alexa Carle-Hébert. C’est juste de nous laisser au moins l’opportunité. Je devrais être traitée de la même façon pour les auditions, que je sois en fauteuil roulant ou non.

Pas d’« effet Gabrielle », selon Geneviève Bouchard

Il y a 10 ans, le film Gabrielle était sélectionné pour représenter le Canada aux Oscars dans la catégorie meilleur film en langue étrangère. On aurait pu croire que l’œuvre, qui a révélé les talents de l’actrice Gabrielle Marion-Rivard, aurait marqué un tournant dans l’inclusion des personnes handicapées.

Mais non, il n’y a pas eu d’effet Gabrielle, constate Geneviève Bouchard, comédienne et responsable de la transition vers la vie professionnelle et des projets d’inclusion chez Les Muses.

Gabrielle a décroché le prix Écrans canadiens pour son interprétation. Pourtant, elle a été boudée aux Jutra, comme on appelait les prix Iris à l’époque. Elle n’était même pas en lice. Toutes ses collègues étaient en nomination, mais pas elle. L’actrice n’a peut-être pas reçu la reconnaissance qu’elle méritait, selon elle.

Au Québec, les mentalités peinent à se mettre au goût du jour. Il y a un travail de sensibilisation à faire, beaucoup. Il y a une plus grande ouverture ailleurs.

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