Mourir plutôt que perdre « sa maison »

18 janvier 2024

(Joliette) « Amenez-moi à l’hôpital et débranchez-moi. »

La Presse – 18 janvier 2024

Caroline Touzin Équipe d’enquête, La Presse

Lucie Bellerose le dit sans détour. Si elle doit quitter le foyer de L’Arche Lanaudière où elle vit depuis 20 ans, la femme de 62 ans ne veut pas finir sa vie en CHSLD.

Elle préfère mourir. Car L’Arche, c’est « sa maison ».

Comme les dix autres adultes déficients intellectuels qui vivent dans ce foyer, le retour dans sa famille n’est pas une option. Certains n’en ont tout simplement plus. D’autres ont des parents désormais trop âgés pour s’occuper d’eux.

Lucie a généralement une « joie de vivre exceptionnelle », assure la directrice de L’Arche Lanaudière, Frances Bourgouin-Brunelle.

À notre passage au foyer de Joliette, début janvier, nous l’avons vite constaté : Lucie est une sexagénaire enjouée qui distribue les câlins et multiplie les éclats de rire. Elle a offert aux représentants de La Presse un accueil chaleureux en leur offrant un « bon café » et des pantoufles en Phentex.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Lucie Bellerose, résidante de L’Arche Lanaudière

Mais quand cette femme qui vit avec une déficience intellectuelle a rencontré son député provincial récemment pour l’implorer de sauver sa « maison », elle s’est mise à pleurer.

Puis elle a lancé cette terrible phrase qui donne une idée du désespoir dans lequel les résidants et leur famille sont plongés ces jours-ci.

Faute d’un financement suffisant de l’État, la survie des 24 foyers de l’Association des Arches du Québec – présents dans 8 régions de la province – est menacée, selon le directeur de L’Arche Canada, Louis Pilotte. Au total, ce sont 135 adultes ayant une déficience intellectuelle qui risquent d’être forcés de déménager.

Les deux foyers de Lanaudière, dont celui où vit Lucie, sont aux prises avec la situation financière la plus précaire. Ils risquent de fermer les premiers ; d’ici décembre.

Au cœur du problème : le financement public par place. Il équivaut à 85 $ par jour pour l’hébergement et les repas pour les foyers de L’Arche au Québec. C’est largement sous les moyennes, notamment lorsque l’on compare à l’allocation accordée à de nouveaux projets destinés à ce type de clientèle (déficients intellectuels) ou du moins similaire (adultes autistes sans troubles graves de comportement), explique Valérie Roy, responsable du développement à l’Association des Arches du Québec.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Le financement public par place est au cœur du problème : 85 $ par jour pour l’hébergement et les repas, c’est largement sous les moyennes, estime Valérie Roy, responsable du développement à l’Association des Arches du Québec.

Mme Roy donne l’exemple des maisons Véro & Louis, dont le financement public est nettement supérieur (291 $ par jour par adulte hébergé) pour une clientèle qui, a priori, présente les mêmes enjeux.

« Est-ce que ça nous prendrait une vedette [pour être mieux financés] ? », demande celle qui a été attachée politique de l’ex-députée péquiste Véronique Hivon, découragée.

Le directeur de L’Arche Canada, Louis Pilotte, se pose la même question : « Pour obtenir du financement au Québec, vaut-il mieux faire du show-business au lieu du social ? »

Mieux financé ailleurs au Canada

L’organisme international – présent dans 38 pays – est d’ailleurs beaucoup mieux financé dans les autres provinces canadiennes où ses foyers reçoivent une somme de trois à quatre fois plus élevée par personne hébergée qu’au Québec, relève-t-il.

« Le problème », ce n’est pas ce que la Fondation Véro & Louis reçoit, indique le directeur de L’Arche Canada. « C’est bel et bien ce que ça coûte », dit-il. C’est que cette même somme ne soit pas accordée à toutes les ressources communautaires qui offrent de l’hébergement de longue durée à des clientèles similaires, insiste M. Pilotte.

L’Arche se plaint de ne pas recevoir de réponse « cohérente » du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. « Le Ministère nous renvoie au CISSS/CIUSSS et les CISSS/CIUSSS nous renvoient au Ministère », déplore son directeur, M. Pilotte.

Si les Arches étaient mieux financées, elles pourraient même « développer » des places puisqu’elles ont actuellement des dizaines de chambres disponibles, laissées vides en raison du manque d’argent pour embaucher du personnel supplémentaire.

Comme les personnes hébergées à L’Arche vieillissent, leurs besoins augmentent, ce qui nécessite plus d’employés. À titre d’exemple, en raison d’un déficit accéléré de 10 000 $ par mois causé par l’embauche de quatre « assistants de jour », les réserves de L’Arche Lanaudière seront épuisées en décembre. En plus de la dizaine de personnes hébergées, une trentaine d’autres qui fréquentent le centre de jour seront touchées.

D’ailleurs, dans les maisons alternatives – conçues sur le modèle des maisons des aînés, mais pour une clientèle ayant une déficience physique, une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme –, une place « coûte » cinq fois plus cher à l’État qu’une place dans un foyer de L’Arche, insiste Valérie Roy, de l’Association des Arches du Québec.

Un fonds d’urgence réclamé

Pour éviter la fermeture, L’Arche Lanaudière demande au CISSS local un fonds d’urgence, en plus de lui assurer une entente à la hauteur de ses besoins. L’organisme interpelle également le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on dit être « conscient que les besoins de la clientèle adulte en déficience intellectuelle sont importants, et du soutien précieux que leur apportent les organismes communautaires dans les différentes communautés du Québec, comme le fait le réseau des Arches ».

Questionné sur les conséquences d’une telle fermeture sur les adultes handicapés et leurs familles, le CISSS de Lanaudière indique par courriel que « des discussions ont déjà eu lieu et d’autres sont à prévoir prochainement », sans plus de détails.

Johanne Forest n’ose pas s’imaginer ce qui va arriver à sa fille de 42 ans, Patricia, si L’Arche ferme. « Elle est bien trop jeune pour se retrouver en CHSLD et moi, je n’ai pas l’énergie pour la reprendre, dit la maman, très inquiète. J’ai passé l’âge de l’amener glisser et faire de la raquette. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Johanne Forest s’inquiète pour sa fille Patricia : « Ne leur enlevez pas l’endroit où ils sont heureux et épanouis », implore-t-elle.

Ici, sa fille « ne passe pas ses journées à se bercer devant la télé », souligne-t-elle. Patricia fait toutes sortes d’activités stimulantes, dont de la danse-thérapie avec une professeure des Grands Ballets Canadiens. Elle participe aussi à des ateliers avec des détenues de la prison de Joliette. « On parle de nos émotions, nous explique Patricia. Elles [les détenues] vivent des drames. »

Des « assistants » accompagnent également Patricia et les autres résidants de la ressource sur des « plateaux de travail » au cégep local et dans une banque alimentaire, entre autres, où ils effectuent des tâches simples qui les valorisent.

« Ne leur enlevez pas cet endroit où ils sont heureux et épanouis », implore Mme Forest.

Iniquité de financement d’un CISSS à l’autre

L’Association des Arches du Québec réclame un programme de financement « standardisé » pour tous les organismes communautaires qui offrent de l’hébergement de longue durée. Actuellement, les 8 communautés de L’Arche (24 foyers au total) présentes dans autant de régions (et donc autant de CISSS) ne reçoivent pas le même financement d’une région à l’autre (d’où la moyenne de 85 $ par personne, par jour). Le CISSS de Lanaudière finance les deux foyers de la région à la hauteur de 40 $ par personne, par jour. « La journée où on ferme, les usagers retournent dans le réseau de la santé ; un réseau où il n’y a pas de place pour eux ; ce même réseau qui est forcé d’acheter des places au privé tellement il en manque », affirme Valérie Roy, de l’Association des Arches du Québec, alors que l’État insiste depuis des années dans ses plans d’action sur l’importance du partenariat avec ce même milieu communautaire.

Scandale sexuel impliquant son cofondateur

Le cofondateur de L’Arche Jean Vanier a fait subir des violences sexuelles à plusieurs femmes au cours de ses décennies avec l’organisme caritatif, notamment au Canada, en France et en Inde, selon un rapport publié en janvier 2023. Une enquête commandée par l’organisme a identifié 25 femmes qui ont vécu, à un moment de leur relation avec lui, « une situation impliquant un acte sexuel ou un geste intime » dans un contexte d’« emprise », d’« abus d’autorité » et « plus généralement » de « confusion des sphères spirituelles, affectives et sexuelles ». Les agressions sont survenuesentre 1952 et son décès, en 2019. Est-ce que le scandale a pu nuire au financement public de L’Arche ? Bien que le rapport n’ait pas trouvé de preuves que Jean Vanier a abusé de personnes ayant une déficience intellectuelle, l’organisation internationale et la branche canadienne ont pris des mesures pour améliorer les procédures de dénonciation et de signalement, assure le directeur de L’Arche Canada, Louis Pilotte, qui précise que ses difficultés à obtenir un financement public adéquat au Québec datent de bien avant le scandale.

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