Des parents dénoncent la fin des services pour leurs enfants avec une déficience intellectuelle

29 novembre 2023

Les mères d’enfants présentant des déficiences intellectuelles et ayant des besoins importants et soutenus dénoncent que leur centre de réadaptation leur supprime des services pour « des raisons administratives » et affirment qu’on les laisse à leur propre sort.Une situation « scandaleuse » et « inhumaine », estiment plusieurs organismes, tandis que le centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal assure que les services reviennent « quand c’est nécessaire ».

« Je n’y arrive pas seule, c’est impossible, lance Anouk Lanouette-Turgeon. Je suis vraiment épuisée de ce système. » 

Son garçon trisomique de 12 ans, qui présente notamment une déficience intellectuelle modérée associée à une hypotonie sévère, un retard moteur qui le situe au niveau de développement d’un enfant de moins de 18 mois, reçoit l’aide d’éducatrices spécialisées du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED) de Montréal. 

Il a des difficultés dans toutes les sphères de sa vie, explique sa mère. Il ne comprend pas le monde qui l’entoure, dit-elle, et n’est pas autonome. Il est de plus très difficile de le comprendre quand il parle.

Or, récemment, une cheffe d’équipe du CIUSSS a annoncé à la famillequ’elle n’aurait plus accès aux services que reçoit le jeune garçon depuis plusieurs années. Une décision qui a surpris. « On nous dit, dans un jargon insupportable, qu’on “révise les trajectoires de service” pour les usagers qui ont plus de cinq ans de soi-disant service continu, lance Anouk Lanouette-Turgeon. Ce n’est même pas vrai que le service a été continu avec la pandémie, ainsi que les trous de service qu’on a vécus. »

Son fils commençait « à mieux répondre aux services », dit-elle. Mais les parents devront se débrouiller seuls avec un plan  pour « la poursuite des apprentissages », et au préalable du « coaching » visant « la généralisation des différentes stratégies gagnantes » pour leur garçon, peut-on lire dans des échanges courriel avec la cheffe de service.

Son enfant a pourtant besoin d’une éducatrice spécialisée, affirme sa mère, car il a énormément de difficultés à apprendre par lui-même. « Ça prend des compétences que, moi, je n’ai pas, par exemple juste pour enseigner à tenir un crayon correctement, attacher sa fermeture éclair ou se brosser les dents », décrit-elle.

Manque d’humanité

Il s’agit d’une fermeture de dossier « cavalière » et d’un traitement « inhumain » pour la famille, affirme sans détour Isabelle Perrin, personne-ressource au Comité des usagers du CRDITED de Montréal. 

« Une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme, ce sont des conditions permanentes, et on dirait qu’on le perd de vue, lance-t-elle. On ne guérit pas de ça, et les familles ont besoin d’accompagnement, elles ne peuvent pas faire ce travail-là seules. »

Elle critique le fait qu’il n’y a pas eu d’évaluation clinique au préalable dans ce dossier. « Est-ce que le garçon est guéri, et est-ce qu’il a des besoins ? Ce qu’on a appris dans ce dossier, c’est qu’avant même d’avoir les évaluations en bonne et due forme, on a annoncé procéder à une fermeture », dit-elle. 

L’organisme de défense des droits Parents pour la déficience intellectuelle (PARDI) note de son côté une tendance des CIUSSS à vouloir « outiller » les parents pour qu’ils intègrent des gestes qui aident l’enfant à progresser. « Les équipes forment les parents pour devenir des intervenants, explique la coordonnatrice, Delphine Ragon. Mais un parent ne peut pas devenir l’intervenant de son enfant. Il peut soutenir des apprentissages à la maison, mais il ne peut pas être le seul responsable de son évolution. »

Le garçon de Anouk Lanouette-Turgeon a en théorie droit à une mise en vigie de 24 mois, qui permet de faire une intervention ou de réactiver le dossier. Or, la mère  déplore que la cheffe de service du CIUSSS lui ait bien confirmé une fermeture de dossier et lui ait plutôt dit de passer par le guichet d’accès en cas de besoin, ce que Le Devoir a constaté dans des échanges courriel avec les principaux intéressés.

Pas une fermeture à vie

Le mécanisme de vigie est pourtant encore en vigueur, confirme au Devoir Carla Vandoni, directrice des programmes de déficience intellectuelle, trouble du spectre de l’autisme et déficience physique (DI, TSA et DP) au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Sans vouloir commenter ce cas particulier, elle ajoute qu’il n’y a pas de directives concernant la fermeture de dossiers qui datent de cinq ans ou plus. « Ça n’a rien à voir avec les années, parce que les services peuvent durer quelques mois ou plusieurs années, ça dépend vraiment des besoins, explique-t-elle. Nous, on regarde si les objectifs du plan d’intervention sont atteints et si la personne a encore besoin de services de réadaptation spécialisée en ce moment, et si l’usager ou sa famille sont bien outillés. »

Et il ne s’agit pas de « fermetures à vie », affirme la directrice, et les familles peuvent refaire une demande de services. « On revient quand c’est nécessaire », souligne Carla Vandoni. Elle ajoute toutefois que « l’objectif est de rendre les gens autonomes ». « Il ne faut pas qu’ils soient dépendants de nous à vie », dit-elle.

Les délais des listes d’attente en déficience intellectuelle au guichet d’accès respectent les cibles de Québec. « Si c’est une urgence, ça prend 72 heures. Si c’est une priorité élevée […], on a un maximum de 90 jours, mais souvent, on y arrive plus vite. Si c’est une priorité modérée, donc quelque chose qui n’est pas urgent, mais qu’on va devoir travailler éventuellement, nous avons un maximum de 365 jours, mais encore là, on y arrive avant cette période », énumère-t-elle.

Elle admet que des personnes attendent pour des services et que « des centaines de demandes » entrent chaque année. « Nous, on a la responsabilité de la population, on doit s’assurer d’utiliser nos ressources et de desservir le plus possible toute la population. » D’où le fait qu’une pause soit parfois nécessaire, pour  « aider la prochaine personne sur la liste d’attente ».

Fonctionnement « dysfonctionnel »

Valérie Larouche, dont la fille est sur le mécanisme de vigie depuis un an, parle de son côté d’un système « dysfonctionnel » et se demande sans cesse si les problèmes de sa fille, qui a une déficience intellectuelle sévère et d’autres diagnostics associés, sont assez graves pour que le centre de réadaptation s’implique à nouveau.

« Il faudrait qu’elle soit toujours, par exemple, en opposition avant le repas pour qu’il y ait une intervention, raconte-t-elle. Mais elle va le faire souvent, à plusieurs moments dans la journée, pour plein de raisons différentes, et ça, ce n’est pas bon comme réponse. »

« On intervient plus à tâtons, raconte-t-elle. C’est plus fatigant, parce que c’est beaucoup d’essais et d’erreurs. » 

Une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme, ce sont des conditions permanentes, et on dirait qu’on le perd de vue. On ne guérit pas de ça.

— Isabelle Perrin

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