« À toi ma fille, parfaite et précieuse
Par Anik Larose, mère de Marie
Au calendrier, le 3 décembre, une autre Journée internationale des personnes handicapées. Une autre journée pour se rappeler l’existence de 15 % de la population. Une minuscule journée pour 15 % de la population, ça en fait du monde, non ? Et pourtant…
Une petite journée par année, c’est mince comme une feuille de soie qui menace constamment de prendre le large au moindre coup de vent, de se retrouver piétinée sur le bitume par un passant, aucunement préoccupé par cette vie en apparence vulnérable, misérable, inutile, et pourtant…
Marie, ma fille, tu fais partie de ces 15 % d’invisibilisés. Tu vis avec une déficience intellectuelle, tu es une femme trisomique de 30 ans. Depuis ce jour unique de ta naissance, j’observe ce monde et je crains pour toi.
Mais n’imagine pas qu’on t’oublie, Marie ! En ce beau 3 décembre, on entendra les mots bien intentionnés de politiciens et politiciennes, de directions d’organismes qui occupent leurs journées de dossiers défendant tes droits et tes intérêts. On revendiquera, on soulignera tes capacités, en affirmant que tu fais partie du nombre, que tu représentes cette formidable diversité, que tu es une citoyenne à part entière. On fera des vidéos, des publications bien senties sur les réseaux sociaux, des discours prônant l’inclusion. On évoquera quelques lieux communs, en faisant preuve de bienveillance… Rien ne sera oublié !
Je connais. J’y ai même participé. Mais qu’arrive-t-il les autres jours de l’année ? Pourquoi cette proportion importante de la population reste-t-elle invisible, sans considération tangible et porteuse de changement ? Et pourtant…
Simplement merci
Aujourd’hui, en cette journée grise de ce début de décembre de notre petite vie qui ne fait pas de bruit, pas d’écran de fumée ni de langue de bois. Non, Marie, aujourd’hui, j’ai cette envie très forte de te dire simplement merci pour ce que tu es pour moi. Merci pour tes sourires lorsque je sens que ma fatigue veut prendre le dessus sur la joie de t’accompagner, de te soutenir. Merci pour ta capacité d’être présente pour moi, pour ta famille.
Tu es un maître de l’« ici et maintenant », compétence que t’envieraient bien des adeptes de la méditation. Merci pour tes nombreux « Courage, maman ! » Toi, femme de peu de mots, mais qui n’a que les bons.
Marie, tu es bien plus qu’une statistique, qu’une usagère sur une liste ministérielle, qu’une exploitée qu’il faut défendre. Tu es ma fille, parfaite et précieuse. Lève la tête et les épaules, sois fière, ta place est ici, dans ma vie. Ton existence est précieuse, tu l’as prouvé si souvent.
N’est-ce pas ton rire sonore qui a redonné le sourire à toute une équipe médicale lors d’une visite récente ? En quelques secondes, l’atmosphère lourde et pesante est devenue joie, douceur et rires à ton seul contact. Merci pour ces petits miracles qui passent si souvent inaperçus, mais qui changent le quotidien. Je t’aime et c’est encore par toi et pour toi que nous devenons de meilleurs humains.
C’est surtout ça que je tiens à célébrer en ce 3 décembre et même tous les autres jours de l’année. Mais pour cela, il faut connaître, tisser un lien, côtoyer, soutenir, prendre le temps, aimer. Ces vies sont des cadeaux dont on doit prendre soin. J’y crois depuis trois décennies, et je veux y croire longtemps, sans fard ni idéologie ou rhétorique. Car ta valeur d’humaine vaut bien plus que des mots. »
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